Saint Fursy était évêque et Bède * passe pour avoir écrit sa vie.
Il était parvenu à un haut degré de vertus et de bonté lorsque sa fin approcha
et qu'il rendit l’esprit. Il vit alors deux anges venir à lui pour emporter son
âme; il en distingua un troisième qui marchait en avant, armé d'un bouclier
éclatant de blancheur et d'un glaive flamboyant; ensuite il entendit les démons
crier : « Allons en avant et suscitons des combats en sa présence. »
Ils
s'avancèrent donc, et en se retournant, ils lancèrent contre Fursy des traits enflammés ; mais l’ange, qui allait en
avant, les recevait sur son bouclier et en éteignait la flamme aussitôt.
Alors
les démons qui s'opposaient aux anges parlèrent ainsi : « Souvent il disait des
paroles oiseuses, en conséquence, il ne doit pas, sans avoir été puni, jouir de
la vie éternelle. »
L'ange leur dit : « Si vous ne faites valoir contre lui des
vices de premier ordre, il ne périra pas pour ceux qui sont de minime
importance. »
Alors le démon reprit: « Si Dieu est juste, cet homme ne sera pas
sauvé : car il est écrit (Math., XVIII) « Si vous ne vous convertissez et si
vous ne devenez comme de petits enfants; vous n'entrerez point dans le royaume
des cieux. »
L'ange dit pour l’excuser « Il savait cela au fond du coeur; mais
les pratiques des hommes lui firent garder le silence.. »
Le démon lui répondit:
« Puisqu'il fit le mal en cédant à l’usage, qu'il subisse donc les effets de la
vengeance du souverain juge. »
Le saint ange dit : « Eh bien ! portons l’affaire
au jugement de Dieu. »
Quand la lutte fut engagée, les adversaires des anges
furent écrasés. Alors le démon dit : « Le serviteur qui aura connu la volonté de
son maître et qui n'aura point exécuté ses ordres, sera battu de plusieurs coups
» (Luc, XII). (108) L'ange lui répliqua: « En quoi donc cet homme a-t-il manqué
à accomplir la volonté de son maître ? » « Il a reçu des dons de la main des
méchants », dit le démon. L'ange lui répondit : « Il a cru que chacun d'eux
avait fait pénitence. » Le démon reprit : « Il devait auparavant s'assurer
qu'ils avaient persévéré dans leur pénitence, et alors recevoir les fruits
qu'elle produisait. » L'ange répondit : « Portons l’affaire au tribunal de Dieu.
»
Mais le démon succomba. Celui-ci suscita une nouvelle lutte et dit : «
Jusqu'alors je redoutais la véracité de Dieu qui a promis de punir pour
l’éternité tout péché qui n'est point expié sur la terre. Or, cet homme a reçu
un vêtement d'un usurier, et il n'en a point été puni ; où donc est la justice
de Dieu? »
L'ange répliqua : « Taisez-vous, car vous ne connaissez point les
secrets jugements de Dieu. Tant que la miséricorde divine espère des actes de
pénitence de la part d'un homme, elle ne l’abandonne pas. »
Le démon répondit :
« Mais ici il n'y a aucun vestige de pénitence. »
« Vous ignorez, reprit l’ange,
la profondeur des jugements de Dieu. » Alors le diable frappa Fursy avec une telle force que par la suite, quand il fut
revenu à la vie, il porta toujours la marque du coup : car les démons avaient
saisi un de ceux qu'ils tourmentaient dans les flammes et le jetèrent sur Fursy, dont l’épaule et la joue furent brulées.
Or, le saint
reconnut que c'était l’homme dont il avait reçu le vêtement.
Alors l’ange dit :
« Ce que tu as embrasé te brule : car si tu n'avais pas accepté un présent de
cet homme qu'il n'a pas fait pénitence, tu n'aurais pas eu à endurer cette brulure. » Et il reçut ce (109) coup, par la permission de Dieu, pour avoir
accepté ce vêtement. Mais alors un autre démon dit : « Il lui reste encore une
porte étroite où nous pourrons le. vaincre: « Vous aimerez le prochain comme
vous-même. »
L'ange répondit : « Cet homme a fait du bien à son prochain. »
L'adversaire reprit : « Cela ne suffit pas, s'il ne l’a encore aimé comme
soi-même. »
L'ange lui dit : « Le fruit de la charité, c'est de bien faire ; car
Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres. »
Et le démon reprit: « Mais pour
n'avoir pas accompli le commandement de l’amour, il sera damné. » Dans ce combat
avec l’infernale troupe, les saints anges furent vainqueurs.
Le démon dit encore
: « Si Dieu n'est pas injuste, et si la violation de sa loi lui déplaît, cet
homme ne manquera pas d'être puni : car il a promis de renoncer au monde, et, au
contraire, il a aimé le monde, malgré ce qui a été dit (Jean, I, 2) «N'aimez
point le monde, ni ce qui est dans le monde.»
Le saint ange répondit : « Il
n'aima pas les biens du monde, mais il aima à les distribuer aux indigents. »
Le
diable répliqua: « De quelque manière qu'on l’aime, c'est contraire au précepte
divin. »
Les adversaires ayant été confondus, le diable revint à là charge avec
des accusations astucieuses : « Il est écrit, dit-il : « Si vous ne faites pas
connaître au méchant son iniquité, je vous redemanderai son sang.» (Ezéch., II). Or, cet homme n'a pas annoncé, comme il le
devait, aux pécheurs, de faire pénitence. »
Le saint ange répondit: « Quand les
auditeurs méprisent la parole de Dieu, la langue du prédicateur est liée,
puisqu'il voit que les paroles qu'il a fait entendre sont méprisées. (110) C'est
donc l’oeuvre de l’homme prudent de savoir se taire, quand il n'est pas temps de
parler. »
Dans toutes les circonstances de ce débat, la lutte fut excessivement
vive, jusqu'à ce qu'enfin, d'après le jugement du Seigneur, les anges ayant
triomphé et les ennemis ayant été vaincus, le saint homme fut environné d'une
immense clarté.
Bède ajoute encore qu'un des anges dit à saint Fursy: « Regardez le monde. » Et il regarda, et il vit une
vallée ténébreuse et en l’air quatre feux placés à une certaine distance l’un de
l’autre.
Alors l’ange lui dit : « Ce sont les quatre feux qui embrasent le
monde. Le premier, c'est le feu du mensonge. Par là les hommes n'accomplissent
en aucune manière la promesse qu'ils ont faite de renoncer au diable et à .
toutes ses pompes. Le second, c'est le feu de la cupidité, qui fait préférer les
richesses du monde à l’amour des choses du ciel. Le troisième, c'est le feu de
la dissension, qui engage à ne craindre pas de blesser l’esprit du prochain par
des vanités. Le quatrième, c'est le feu de la cruauté, on compte alors pour rien
de dépouiller les faibles et de leur faire tort»
Bientôt ces feux qui se
rapprochaient n'en firent plus qu'un et s'avancèrent sur lui.
Il en fut effrayé
et dit à l’ange : « Seigneur, ce feu s'approche de moi. »
L'ange lui répondit «
Ce que tu n'as pas allumé ne brulera pas en toi; car ce feu traite chaque homme
selon ses mérites. En effet,, si le corps brule de voluptés illicites, il brulera aussi dans les châtiments.»
Enfin, saint Fursy
fut ramené dans son propre corps en présence de ses proches qui le pleuraient,
en le croyant mort. Or, il survécut encore quelque temps et finit sa vie dans la
pratique des bonnes oeuvres.
Référence : Histoire d'Angleterre, l. III, c. XIX. — La vision est rapportée dans la Chronique d'Hélinand,
an 645.